Expérimentation

Le projet PharmOneHealth présente la particularité de considérer à la fois des biofilms périphytiques et sédimentaires.

En effet, sur un même site d’étude, la diversité microbienne est très différente entre ces deux types de communautés et les substances pharmaceutiques ont tendance à s’accumuler soit préférentiellement dans le périphyton, soit préférentiellement dans le compartiment sédimentaire, engendrant ainsi des profils d’exposition très différents pour les communautés microbiennes, selon qu’elles se développent dans l’un ou l’autre de ces compartiments. Cela a notamment été démontré récemment dans le cadre du projet ANTIBIOTOOLS financé par le PNREST Anses 2017 (2017/3 ABR/2235). Les équipes de l’UR RiverLy, de l’UMR LEM et de l’UMR CARRTEL possèdent une grande expérience dans le prélèvement et l’étude de ces deux types de biofilms dans différents écosystèmes aquatiques.

Stratégie expérimentale

Le projet PharmOneHealth combine des approches en canaux artificiels, afin d’exposer des communautés microbiennes naturelles périphytiques et sédimentaires à des composés modèles, dans des conditions contrôlées et pendant des durées de plusieurs semaines, et des suivis in situ, réalisés dans deux rivières aux propriétés différentes.

Suivis in situ

In situ exp
Mercier
  • Le Mercier est une rivière située à proximité de Lyon en zone rurale, sur les communes de Pollionnay (~3000 habitants) et de Grézieu la Varenne (~6 000 hab) et associée au site pilote de l’Yzeron de l’Observatoire de Terrain en Hydrologie Urbaine (OTHU) de la ZABR. Caractérisé par des phénomènes de pollution diffuse, c’est un terrain privilégié pour comprendre les mécanismes de transport et de dispersion des contaminants dans les cours d'eau. Ses caractéristiques géographiques et écologiques en font un lieu d'étude idéal pour explorer les interactions complexes entre les activités humaines, telles que l'élevage (ici principalement des bovins mais également des volailles et chèvres, centres équestres16), et l'agriculture intensive (ici grandes cultures de maïs16), et les écosystèmes aquatiques. Le Mercier est l’objet d’études de plusieurs équipes de recherche telles que l’UR RiverLy et l’UMR LEM qui suivent la qualité chimique et microbiologique de la rivière - permettant ainsi une évaluation précise de son état écologique - ou l’Association Chante Ruisseau, qui compile l'historique des contaminations. Dans le cadre du projet ANR Chypster (2021-2025) « Integrated biogeochemical, geographical and hydrological approaches to track sources of contaminants in mixed land-use watersheds », l’UMR PACTE (Pauline Dusseux et Nicolas Robinet ; Univ. Grenoble-Alpes) a regroupé les informations de l’Association Chante Ruisseau concernant les pratiques d’élevage et d’usage des phytosanitaires, antibiotiques et antiparasitaires sur ce secteur et les met à disposition du projet PharmOneHealth pour une meilleure compréhension des pressions anthropiques exercées sur cet écosystème aquatique.
Tillet carte
  • Le Tillet, affluent du lac du Bourget, est un cours d'eau d'importance significative dans la région en termes d'écologie aquatique et de gestion des ressources en eau. Associé à l’observatoire des lacs alpins (OLA), son bassin versant présente une diversité de paysages, allant des zones urbaines densément peuplées aux régions à faible pression anthropique. Sa section aval traverse la ville d'Aix-les-Bains (~30000 hab.), est contaminée par un rejet localisé (zone canalisée drainant une grande partie de la ville) issue de rejets domestiques et de l’activité thermale, sans traitement préalable. Ce rejet est vecteur d’une pollution chimique (en particulier PCBs, suivis depuis plus de dix ans par l’UMR EDYTEM, et substances pharmaceutiques), organique (incluant des microorganismes représentatifs de pollutions domestiques) et thermique (+5 à +10°C). Cette contamination constitue un défi majeur pour la préservation de la qualité de l'eau dans la région. A l’opposé, la section amont du Tillet se situe dans une zone à très faible pression anthropique, qu’elle soit domestique ou agricole (voir projet Agence de l’eau RM&C-ZABR CommuSED 2017-19 pour détail) 17.
Tillet detail

La prise en considération de ces deux sites d’études très différents permet de tester dans des contextes contrastés les hypothèses scientifiques ainsi que les outils et approches développés afin de renforcer la robustesse des résultats obtenus.

Etudes en conditions contrôlées

Elle sont réalisées à l’aide de canaux artificiels de laboratoire permettant d'étudier les communautés microbiennes périphytiques ou sédimentaires sous différentes conditions environnementales simulées. Les canaux atrificiels permettent de contrôler à la fois l'exposition en terme de composition chimique et de concentration de la pollution, mais également en terme de durée d'exposition. Les approches en canaux artificiels visent trois substances modèles fréquemment détectées dans les milieux aquatiques français et qui semblent présenter des distributions différentes entre les compartiments périphytiques et sédimentaires (avec cependant un nombre de données à ce sujet encore limité à ce jour : un antibiotique de la famille des sulfamides (sulfaméthoxazole), un autre de la famille des quinolones (ofloxacine) et un anti-inflammatoire non stéroïdien (diclofénac). Les matrices utilisées dans ces expériences (périphyton et sédiment) seront issues de l’un des sites d’étude (le Tillet), qui présente un gradient de contamination chimique marqué, avec une section amont très peu contaminée et une section aval qui collecte l’ensemble de la contamination, sur une zone géographique très restreinte, avec notamment une forte accumulation dans le compartiment sédimentaire18. Cette stratégie permettra ainsi d’adapter la station d’origine des matrices étudiées (i.e. amont ou aval) en fonction des objectifs visés.

Canaux

Caractérisation du contexte physico-chimique (incluant l’exposition aux substances pharmaceutiques)

En laboratoire : La bioaccumulation et l’influence des niveaux d’exposition les communautés microbiennes des 3 substances modèles ciblées (sulfaméthoxazole, ofloxacine et diclofénac), seules ou en mélanges, sont analysées dans les biofilms, les eaux et les sédiments par LC/MS-MS (Xevo® TQ-XS, Waters).

In situ : des analyses ciblées quantitatives par LC/MS-MS permettront une étude des niveaux de contamination par une quarantaine de substances pharmaceutiques dans les biofilms, les eaux (échantillonnage intégratif sur 15 jours par POCIS - Polar Chemical Integrative Sampler) et les sédiments de surface. La présence d’une gamme plus large de substances pharmaceutiques et de biocides sera évaluée via des analyses exploratoires suspectées qualitatives par LC/QTOF (Xevo G2-S Q-TOF, Waters). Enfin, les pressions chimiques dues aux pesticides et aux éléments métalliques, ainsi qu’aux PCBs dans les sédiments, seront analysées (données déjà connues sur les 2 sites grâce à des mesures réalisées dans le cadre de projets passés de l’UR RiverLy, équipe LAMA et de l’UMR EDYTEM (Emmanuel Naffrechoux, Univ. Savoie Mont-Blanc). Une caractérisation plus globale de la matière organique dissoute par analyses du carbone organique dissous, par spectrophotométrie UV-visible et par chromatographie d’exclusion stérique couplée à des détecteurs UV et de fluorescence (HPSEC-UV/Fluo) permettra de mettre en évidence d’éventuels autres apports anthropiques.

Approches moléculaires

La diversité des communautés microbiennes des biofilms périphytiques et sédimentaire sera étudiée par plusieurs approches : (i) au niveau des genres bactériens via l’analyse de séquences d’amplicons, (ii) au niveau des espèces via la qPCR et ddPCR, (iii) et au niveau de déterminants génétiques représentant une préoccupation sanitaire, c’est –à-dire les gènes de virulence (notion de « virulence gene loads ») et les GRA. L’extraction d’ADN de l’ensemble des échantillons (périphyton et sédiment) sera réalisée par l’UMR CARRTEL. Sur l’ensemble des extraits d’ADN, ce partenaire réalisera une approche de séquençage massif Illumina MiSeq d’amplicons des gènes codant l’ARNr 16S des bactéries (le séquençage Illumina MiSeq sera réalisé en sous-traitance par la société Fasteris, Suisse). Les séquences obtenues seront assemblées en unités taxonomiques opérationnelles ou variants de séquence d'amplicon (OTU/ASV)19 et comparées aux séquences disponibles dans les bases de données publiques afin d’affilier les différents taxons présents dans les communautés analysées. L’analyse bio-statistique du jeu de données permettra d’évaluer les modifications de la structure des communautés bactériennes sous l’effet des contraintes environnementales comme déjà réalisée dans le cadre d’autres travaux du consortium et d’étudier les corrélations avec les données de qPCR/ddPCR. Les analyses qPCR et ddPCR des cibles MST (microbial source tracking) de l’origine des contaminations fécales (réalisées par l’UMR LEM) et des GRA (réalisées par l’UMR Agroécologie) seront effectuées selon des protocoles bien maitrisés par ces partenaires (voir publication du consortium dont 20,21 mais également22). Ces cribles PCR seront complétés par le développement d’une nouvelle trousse de cribles qPCR/ddPCR par l’équipe LEM-BPOE permettant de faire le suivi des familles de gènes de virulence et ainsi étudier leur enrichissement dans les biofilms contaminés par des produits pharmaceutiques. Ces cribles cibleront des gènes codant des toxines mais également des adhésines, voies de sécrétion (T2SS, T3SS, T5SS), des enzymes extra-cellulaires dont lipases et protéases, et également des PAI (îlot de pathogènie) et autres vecteurs comme des plasmides intégratifs et ICE associés à la mobilité de ces déterminants génétiques par transfert via, entre autres, la voie de sécrétion de type IV23 et certains transposons. Ces cribles de gènes vir permettront d’évaluer la co-occurrence de ces gènes avec (i) certains paramètres physico-chimiques comme la matière organique ou certains pharmaceutiques mais également (ii) avec certaines espèces pathogènes pouvant être également des navettes dans les transferts de gènes comme les Aeromonas hydrophila et A. caviae, et Pseudomonas aeruginosa, et autres24.

Approches PICT (Pollution-Increased Comminity Tolerance)

L’approche PICT est utilisée depuis plus de 15 ans par l'équipe RiverLy-EMA afin de caractériser l’adaptation des communautés microbiennes périphytiques et sédimentaires à différents pesticides25 et contaminants métalliques26 et d'évaluer in situ l’impact écologique de la pression chimique dans le cadre de démarches de bioindication27. Cette approche est basée sur la mesure de la tolérance des communautés dans leur ensemble, à des contaminants chimiques, via la mise en œuvre de tests de toxicité de ces contaminants (seuls ou en mélange) en utilisant comme descripteurs d’effets, des paramètres fonctionnels microbiens (photosynthèse, croissance, respiration, activités enzymatiques extracellulaires, etc.). Des développements méthodologiques récents, réalisés dans le cadre du projet Anses ANTIBIOTOOLS28 ont permis d’établir des protocoles de mesure spécifique de la tolérance des communautés périphytiques et sédimentaires à différentes substances pharmaceutiques. Dans PharmOneHealth, il sera ainsi possible de déployer l’approche PICT à partir de tests de toxicité réalisés via la mesure de l’activité enzymatique beta-glucosidase (ofloxacine et sulfaméthoxazole), de l’activité photosynthétique (diclofénac) ou de la croissance algale (sulfaméthoxazole). Les protocoles existants (ou en cours de développement) permettront de prendre en considération d’autres types de substances lors des suivis réalisés in situ (ex. paracétamol, aténolol, sulfaméthazine, erythromycine, etc.) afin notamment de tester la pertinence de ce type d’approche dans les démarches de biosurveillance dans un contexte de contamination par les substances pharmaceutiques.

PICT

Approches culturales

L’approche culturale est indispensable pour l’étude des antibiotypes, des mécanismes impliqués dans la résistance, en particulier les efflux, (ce que ne permettent pas les approches de séquençage) ou les comparaisons de transcriptomes des isolats exposés à différents polluants. Dans ce cadre, le partenariat UMR Agroécologie- laboratoire de Bactériologie du CHU de Dijon prendra en charge l’isolement et la caractérisation certains bacilles à Gram négatif du groupe ESKAPE  (Enterobacter, Klebsiella, Pseudomonas aeruginosa) et des bactéries du genre Achromobacter à partir des échantillons des dispositifs in situ18,28,29,30,31. Les bactéries du genre Achromobacter sont étudiées depuis 1995 au sein laboratoire de Bactériologie du CHU de Dijon en raison de leur émergence dans les infections nosocomiales et chez les patients atteints de mucoviscidose32. Le mode de contamination des patients ainsi que les facteurs favorisant cette émergence restent inconnus. Ces bactéries présentent une multi-résistance naturelle à différentes classes d’antibiotiques et de fréquentes résistances acquises au cours des colonisations chroniques. La thématique du laboratoire porte à la fois sur les souches cliniques (épidémiologie chez les patients et étude des mécanismes de résistance innés ou acquis, fréquemment liés à des pompes d’efflux)22,29,33 et des souches environnementales (mise au point de milieux sélectifs et techniques d’identification pour la détection de souches environnementales et comparaison génotypique avec les souches cliniques) 34. Dans le cadre des approches en canaux artificiels, l’impact des trois substances modèles sera appréhendé sur l’évolution des résistances des bactéries du genre Achromobacter. In situ, il s’agira d’appréhender la prévalence d’Enterobacter, Klebsiella, Pseudomonas aeruginosa et d’Achromobacter ainsi que leurs phénotypes de résistance en fonction des caractéristiques des différents sites étudiés.

BacteriaDetection
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