One Health : une seule santé pour les êtres vivants et les écosystèmes

Les activités agricoles (amendement des sols avec des fertilisants organiques incluant des lisiers et boues de stations de traitement des eaux usées – STEU, traitements vétérinaires, usage de pesticides, etc.) et les activités domestiques et urbaines (effluents de STEU, surverse de réseaux, lessivage des routes, etc.) sont des sources connues de contamination chimique et microbiologique des milieux aquatiques récepteurs (santé environnementale) pouvant impacter la santé humaine et animale.

Parmi les contaminants chimiques issus de ces différentes activités, les substances pharmaceutiques sont utilisées en médecine humaine et animale à des fins préventives, thérapeutiques, ou de diagnostic. En constante croissance, leur marché mondial a atteint, en 2019, environ 1000 milliards d'euros (la France est en deuxième position sur le marché européen derrière l'Allemagne1). Cette gigantesque production et la consommation qui en découle engendrent des conséquences environnementales néfastes, puisque nombre de ces substances se retrouvent déversées dans l’environnement. Les sources de contamination des milieux aquatiques par les substances pharmaceutiques sont multiples2

Introduction et devenir des substances pharmaceutiques dans les milieux aquatiques
Introduction et devenir des substances pharmaceutiques dans les milieux aquatiques. © Adapté de Klimaszyk P, Rzymski P, 2018.

 

Une étude très récente, concernant 1052 sites de prélèvement dans 258 rivières réparties dans 104 pays couvrant l’ensemble des continents, a souligné l’ampleur mondiale de ce problème, en montrant notamment que pour plus d’1/4 des échantillons, les concentrations en résidus pharmaceutiques excédaient les seuils à risque pour les organismes aquatiques3. Les milieux aquatiques français ne sont pas épargnés par cette contamination, qui inclut des substances pharmaceutiques issues de différentes familles. Parmi celles-ci, certains antibiotiques sont particulièrement bien représentés. C’est le cas notamment du sulfamide sulfaméthoxazole et de la fluoroquinolone ofloxacine. Les données issues du système d’information sur l’eau (SIE) rapportent ainsi que ces deux substances sont quantifiées respectivement dans 60% (n=331) et 39% (n=126) des échantillons d’eau de surface, 12% (n=25) et 46% (n=25) des échantillons de sédiment et 47% (n=32) et 45% (n=20) des échantillons de périphyton4. En France, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont également très présents dans les milieux aquatiques, et notamment le diclofénac, qui a été détecté dans 29 % (n=30 029) des échantillons d’eau de surface analysés entre 2007 et 20185.

La contamination généralisée des milieux aquatiques par les substances pharmaceutiques engendre donc des risques et effets écotoxicologiques avérés6. Si tous les organismes aquatiques peuvent être potentiellement affectés, du fait notamment de la forte bioaccumulation de certaines substances7,8, il est relativement admis que les communautés microbiennes sont particulièrement vulnérables à ce type de pression chimique6. Leur exposition chronique à ces substances peut ainsi induire un impact sur la diversité bactérienne et algale et sur certaines fonctions écologiques associées, engendrant un risque pour le fonctionnement écologique des écosystèmes contaminés. Cela a par exemple été démontré récemment pour des antibiotiques de la famille des sulfamides (dont le sulfaméthoxazole), avec des communautés microbiennes périphytiques9 et sédimentaires10.

Cependant, les communautés microbiennes possèdent de grandes capacités d’adaptation aux contaminants organiques, incluant les substances pharmaceutiques. Cela peut se traduire par le développement de capacité de tolérance et de résistance. Dans le cas des antibiotiques, ce dernier point est particulièrement problématique puisqu’il soulève la question du développement et de la dispersion des bactéries antibiorésistantes (BRA) et des gènes de résistance aux antibiotiques (GRA) dans les milieux aquatiques. L’accroissement de l’utilisation des antibiotiques dans le cadre d’activités humaines (médecine, agriculture, …) a entraîné leur dispersion dans les différents compartiments des milieux aquatiques. Les BRA et les GRA sont devenus omniprésents dans ces écosystèmes (en particulier dans les biofilms périphytiques11 et les sédiments12) avec des niveaux d’abondance reflétant les niveaux de pressions anthropiques, notamment à l’aval de rejets de STEU13. Or, la prolifération des BRA et GRA dans les différents types d’environnements est devenue une problématique majeure, qui pourrait devenir selon l’OMS la plus grande cause de mortalité dans le monde14. De ce fait, plusieurs auteurs ont alerté sur la nécessité de prendre en considération le risque de développement des BRA au sein des communautés microbiennes naturelles dans les procédures d’évaluation du risque environnemental associé aux antibiotiques15,16. Toutefois, bien que questionnée fréquemment, l’influence de l’exposition des communautés microbiennes aux substances pharmaceutiques (et en particulier aux antibiotiques) sur la sélection des BRA et la dispersion de GRA dans les milieux aquatiques reste encore relativement controversée4

  • 1. IQVIA, 2019. The Global Use of Medicine in 2019 and Outlook to 2023. Forecasts and Areas to Watch. Institute Report.
  • 2.  Klimaszyk P, Rzymski P, 2018. Water and Aquatic Fauna on Drugs: What are the Impacts of Pharmaceutical Pollution?. In: Zelenakova M (eds) Water Management and the Environment: Case Studies. Doi:10.1007/978-3-319-79014-5_12
  • 3.  Wilkinson JL et al., 2022. Pharmaceutical pollution of the world’s rivers. PNAS. Doi :10.1073/pnas.2113947119
  • 4. Anses, 2020. Antibiorésistance et environnement. État et causes possibles de la contamination des milieux en France par les antibiotiques, les bactéries résistantes aux antibiotiques et les supports génétiques de la résistance aux antibiotiques. Avis de l’Anses. Rapport d’expertise collective. 263 p.
  • 5. Anses, 2019. Avis de l’Anses relatif à l’évaluation des risques sanitaires liés à la présence de diclofénac dans les eaux destinées à la consommation humaine. 59 p.
  • 6.  Patel M et al., 2019. Pharmaceuticals of Emerging Concern in Aquatic Systems: Chemistry, Occurrence, Effects, and Removal Methods. Chem. Rev. Doi: 10.1021/acs.chemrev.8b00299
  • 7.  Miller TH et al., 2018. A Review of the Pharmaceutical Exposome in Aquatic Fauna. Environ. Pollut. Doi: 10.1016/j.envpol.2018.04.012
  • 8.  Bonnineau C et al., 2021. Role of biofilms in contaminant bioaccumulation and trophic transfer in aquatic ecosystems: current state of knowledge and future challenges. Rev. Environ. Contam. Toxicol. Doi :10.1007/398_2019_39
  • 9. Kergoat L et al., 2021. Environmental Concentrations of Sulfonamides Can Alter Bacterial Structure and Induce Diatom Deformities in Freshwater Biofilm Communities. Front. Microbiol. Doi : 10.3389/fmicb.2021.643719
  • 10. Pesce S et al., 2021. Contrasting effects of environmental concentrations of sulfonamides on microbial heterotrophic activities in freshwater sediment. Front. Microbiol. Doi :10.3389/fmicb.2021.753647
  • 11.  Guo XP et al., 2018. Biofilms as a sink for antibiotic resistance genes (ARGs) in the Yangtze estuary. Water Res. Doi: 10.1016/j.watres.2017.11.029
  • 12.  Calero-Cáceres W et al., 2017.  The occurrence of antibiotic resistance genes in a Mediterranean river and their persistence in the riverbed sediment. Environ. Pollut. Doi : 10.1016/j.envpol.2017.01.035
  • 13.  Proia L et al., 2016. Occurrence and persistence of antibiotic resistance genes in river biofilms after wastewater inputs in small rivers. Environ. Pollut. Doi :10.1016/j.envpol.2015.11.035
  • 14.  OMS, 2016. Plan d'action mondial pour combattre la résistance aux antimi- crobiens, Genève, Suisse, 32 p.
  • 15.  Bengtsson-Palme J, Larsson DG, 2016. Concentrations of antibiotics predicted to select for resistant bacteria: Proposed limits for environmental regulation. Environ. Int. Doi : 10.1016/j.envint.2015.10.015